Promouvoir et diffuser le Psychodrame

Colette Esmenjaud-Glasman avec Fabrice Rosina

Portrait de Colette ESMENJAUD-GLASMAN
« Quelques mots pour me présenter : je suis psychologue, avec une spécialisation enfants et adolescents. Je suis devenue psychothérapeute avec ma formation et la certification d’Analyste Transactionnelle, puis psychodramatiste avec Anne Ancelin Schützenberger. Formatrice de psychodramatistes en coanimation avec elle dans les années 2000, puis seule, j’ai continué à former des psychodramatistes et à développer l’Ecole Française de Psychodrame. Sur le plan personnel, j’ai toujours vécu entourée d’enfants, et, avec eux, j’ai expérimenté la puissance du jeu pour grandir et changer »

Quel a été ton premier contact avec le psychodrame ?

A l’université, dans des travaux pratiques de psychologie sociale. L’enseignant présentait le psychodrame d’Anne Ancelin Schützenberger. C’était en 1967.
Cette expérience d’étudiante est restée dans un coin de ma mémoire. Je suis devenue psychologue psychothérapeute. Psychothérapie de groupe et analyse transactionnelle. Un jour, une petite annonce dans un journal : Anne Ancelin Schutzenberger propose un séminaire de 3 jours de psychodrame sur la Côte d’Azur. J’appelle. Il n’y a plus de place mais quelqu’un vient justement de se désister. Je m’y inscris. Découverte concrète du psychodrame avec Anne. Aucun doute : cette technique est pour moi. Je vois très bien son efficacité pour les patients. Je veux devenir psychodramatiste. Je m’inscris à Paris dans le groupe de formation de Anne. Ma formation commence.

Comment t’es-tu formée ?

5 ans dans le groupe de Anne, les années 90 à Paris. Un week-end par mois pendant plusieurs années : rue du Bac au début, puis Alésia, et enfin, rue de Poitiers. 

Il y avait une certification créée par Anne Ancelin Schutzenberger et Armelle Thomas Bennes pour valider la formation. J’ai vécu un chemin différent, puisque j’ai écrit mon mémoire sur le psychodrame sous l’égide de l’université de psychologie, et pas avec le groupe de formation. Cela a fonctionné comme ma certification.
En formation, les participants étaient des professionnels, avec un projet de travail personnel. Moi et d’autres, avions le projet de devenir psychodramatistes. Après avoir expérimenté l’égo-auxiliaire et la protagoniste, j’ai animé des psychodrames. Sous la supervision de Anne. Elle m’a reconnue psychodramatiste, à partir de ce qu’elle a vu.

Comment as-tu terminé ta formation ?

Petit à petit, j’ai installé le psychodrame dans mes groupes de thérapie. J’ai apporté des cas en supervision en formation. Anne m’a fait travailler là-dessus. J’ai décidé de terminer mes études de psychologie arrêtées à la maîtrise et donc terminé la formation de psychodrame. J’ai passé un DESS de psychologie de l’enfant et l’adolescent. J’ai fait mon stage et travaillé avec le psychodrame analytique.

Dans ton cheminement professionnel quelle place a pris le psychodrame ?

Mon travail se divisait en 2 parties : 2/3 pour mon cabinet privé, et 1/3 de formation de professionnels, interventions auprès des équipes des établissements de soins ou sociaux. Mes groupes sont devenues des groupes de psychodrame. J’ai utilisé les jeux de rôles, les mises en situation. Fin des années 90, début 2000.

Quelles ont été pour toi les rencontres déterminantes dans ton parcours de psychodramatiste ?

La rencontre avec Anne, très forte au niveau personnel et professionnel.
D’autres peut-être aussi ?
Pierre Fontaine, pédopsychiatre belge. Je l’ai rencontré quand Anne m’a incitée à prendre contact avec la FEPTO. La fédération européenne. Anne a souhaité réactiver l’appartenance européenne, avec moi comme formatrice principale. Anne a été une des fondatrices de la FEPTO et a créé l’école française de psychodrame, avec un cursus d’étude, qu’elle avait écrit, une progression et le tout déposé à la FEPTO. A cause de sa santé déclinante, elle avait désinvesti la FEPTO ne pouvant plus y participer. Ses groupes se sont arrêtés les uns après les autres. La réactivation a pris du temps car j’avais besoin de prendre de l’assurance, savoir où j’allais, de renforcer le nombre de participants dans les groupes. J’ai fait la démarche et rencontré Pierre Fontaine et Chantal Neve-Hanquet.

Pourquoi a-t-il été déterminant pour toi ?

Son ouverture, ses prises de position sur le psychodrame. Des valeurs de respect, d’écoute. Pas d’emprise sur les personnes mais les laisser découvrir leur chemin. Beaucoup d’humour. Une grande connaissance des pathologies en psychiatrie. Parce qu’il m’a fait confiance spontanément. Ça m’a touchée. Il a appuyé ma candidature auprès de la FEPTO.

Tu as aussi cité Chantal Neve-Hanquet.

Elle était mandatée par la FEPTO pour contrôler mon groupe de formation. Pendant trois jours en observation. Elle est arrivée très simplement avec une grande ouverture. Elle est venue à notre rencontre. Quelqu’un que j’ai continué à fréquenter régulièrement et que j’apprécie énormément. Elle est psychologue avec une formation de thérapie familiale. Elle utilise le psychodrame dans la thérapie familiale.

D’autres encore ?

René Marineau. Un homme profondément humain, très ouvert, à l’écoute, sans emprise sur les gens. Une forme de psychodrame différente mais des valeurs communes. Il est intervenu dans le groupe de formation de Paris. J’ai organisé des séminaires, et établi une collaboration, pour qu’on le rencontre.
Plus récemment, Luciano Moura et la psychodanse. Il a travaillé avec des publics très abîmés par la vie, des gens en prison, des soldats traumatisés par la guerre, en hôpital psychiatrique. Il a l’expérience de la pathologie mentale, des histoires brisées. J’ai beaucoup partagé sur sa façon de travailler. 
Avec eux, je me suis ouverte à une dimension plus morénienne. Les mises en train qui utilisent le corps, le mettent en mouvement. L’utilisation des objets aussi. Anne ne le faisait pas du tout. Quand je les ai faits intervenir dans les groupes, je me suis rendu compte de l’impact de ces techniques. Les personnes s’en sont emparées tout de suite. 

As-tu un super souvenir ou plusieurs, de psychodramatiste ou participante ?

Comme participante, j’ai découvert le travail sur l’histoire familiale avec le psychodrame.
Pouvoir faire représenter par d’autres des gens importants de ma lignée familiale et travailler les nœuds en psychodrame. Il donnait une force au travail. Le changement personnel n’a pas été exceptionnel mais puissant.

En as-tu un autre ?

Quand l’Ecole a réactivé l’appartenance à la FEPTO, j’ai rencontré des délégués des instituts de formation dans le monde. Imagine une salle avec 90 personnes. Je ne connaissais pas le travail en très grand groupe, ni les mises en train. Quelqu’un les a animés pour que les gens prennent contact les uns avec les autres, en parlant toutes les langues de l’Europe. Une grande partie avait un anglais très bancal. Mon anglais personnel était très mauvais. La mise en train faisait bouger les gens, se rencontrer, se baisser, se relever, sur des rythmes différents. Tout ce travail a permis un lien entre tous. Après ils ont constitué de petits groupes de travail. Je me suis ouverte aux mises en train.

As-tu une technique préférée parmi toutes celles du psychodrame ? Ou plusieurs ?

Le changement de rôle. C’est celle qui révolutionne la façon de travailler. Changement de rôle, avec des objets, des animaux, des personnages, des émotions, des lieux. Tout ce qui fait le paysage psychique intérieur. 
Les techniques de doublage aussi : en étayage d’un protagoniste qui a besoin d’avoir quelqu’un à côté de lui, ou en retrait, parfois en silence pour toute la durée du psychodrame. Le doublage à partir du ressenti d’un participant de la salle qui vient dire ce qu’il a ressenti du protagoniste, dans un moment délicat où il est très coincé. J’ai le souvenir de quelqu’un qui est très empêché, inhibé pour parler, peu d’émotions exprimées. Le double s’installe devant lui, dans une attitude symétrique, en empathie. Il reproduit les mêmes gestes, la respiration, les mêmes mots. Il verbalise ce qu’il ressent et le fait valider. Cette personne très empêchée va juste hocher la tête, pendant une année. C’est le double qui a permis que quelque chose soit dit de la personne. Le double disait un truc et revenait à sa place. C’était quelqu’un avec une histoire tragique, bousculée.

Y a-t-il un concept important pour toi avec lequel tu te sens en affinité ?

Le rôle. On grandit en se créant des rôles. Des rôles personnels, des rôles physiques, psychologiques, relationnels, sociaux. C’est un des concepts majeurs de Moreno. 
Et la spontanéité. Ça se situe dans l’ici et maintenant, la situation où l’on est. On n’a pas pu anticiper. On a essayé de préparer, de faire des programmes. Et maintenant, qu’est-ce qu’il se passe ? C’est très important pour penser le travail thérapeutique, mais aussi le travail avec des groupes sociaux différents.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire du psychodrame ?

Quand j’avais 4 ans, j’adorais jouer et inventer des histoires. J’entrainais toute ma bande de frères, sœurs, cousins, cousines. On jouait et mettait en scène des histoires.
Je me souviens très bien. J’aurais pu dire 6, 8, 12 ou 15 ans car j’ai continué. C’était proche du théâtre d’impro. Du jeu de rôle. On voit des gens qui prennent une époque, un événement historique et se mettent à l’habiter, le jouer. Sur un plan professionnel, j’ai observé le changement sur les gens. Jouer une scène, c’est très différent que d’en parler en étant assis. Retrouver cette capacité de l’enfance. Le jeu réactive des forces vitales importantes.

Qu’est ce qui t’inspire aujourd’hui dans le psychodrame ? Te donne encore envie ?

L’expérience de chaque jour. La mise en mouvement psychodramatique crée une mise en mouvement psychique. Une puissance de la mise en mouvement que je continue à trouver très intéressante. 
As-tu un rêve en tant que psychodramatiste, un projet ?
Je travaille actuellement sur le psychodrame avec des demandeurs d’asile. Des gens refusés. Utiliser le psychodrame pour faire avancer les choses, mieux s’exprimer, se sentir. Du soin social, du soin personnel, sans être de la psychothérapie. Je suis en recherche. Permettre du lien, du bien-être, une meilleure expression, car ils ont des problèmes de langue. Ils sont confrontés à une langue institutionnelle, administrative. Le psychodrame, l’improvisation, les formes du théâtre de l’opprimé peuvent aider.

L’idée de Moreno de sortir, de ne pas rester en salle ? D’aller à la rencontre ?

Je suis impliquée avec les gens de la rue. Dimanche je me suis retrouvée avec une équipe pour faire une soupe de légumes et la distribuer. Un endroit où les gens viennent prendre leur bol de soupe. On met des bancs, ils s’assoient et ils mangent. En discutant, en voyant ce qu’il se passe.

Quels conseils donnerais-tu à de jeunes psychodramatistes ?

De ne pas avoir de projets pour l’autre. Le psychodramatiste prend ce qui passe. Ils veulent tellement bien faire pour leurs patients, qu’ils avancent, progressent. Mais ç’est pas comme ça que ça marche. Le conseil : ne pas être sur un projet pour soi. 
Certains psychodrames sont très fondateurs pour quelqu’un. Mais parfois, le psychodramatiste a l’impression qu’il n’y a pas eu de catharsis. Pour la personne, il s’est vraiment passé quelque chose. Un mouvement psychique. On l’entend parfois, bien plus tard, raconté par le protagoniste. 

Pour finir, qu’aurais-tu envie de dire ?

Reparler de Anne Ancelin Schutzenberger. Pour moi, elle a eu un apport déterminant. C’était une créatrice. J’ai envie de rappeler son nom. Elle avait une forte clairvoyance clinique. Elle a aussi commis des erreurs évidemment. Elle a eu une grande pertinence, avec la puissance pour y aller. La force. Elle aidait au mouvement et l’accompagnait. Le psychodrame a été fondamental pour elle. Elle a appris personnellement. Et elle le transmettait très bien. Elle a formé des générations de psychodramatistes. Qui ont eu d’autres apports, l’ont critiquée, ont pris des distances vis-à-vis d’elle. Il n’empêche que.

Est-elle est à sa juste place aujourd’hui dans le psychodrame ? Entendue ? Reprise ?

Elle n’a pas théorisé le psychodrame. Ses écrits sont plus des manuels pour des gens qui l’utilisent. Ça a desservi sa notoriété.

A FEPTO, est-elle encore présente ? Fait-on référence à elle ?

Oui. C’est elle qui a créé le psychodrame en Suède. Les gens des pays nordiques se souviennent d’elle et y font référence. Les Grecs. Les Bulgares aussi. Anne est restée dans les fondatrices. Toutefois, on se réfère plus à Zerka Moreno. A Grete Anna Leutz.

On n’entend pas assez son héritage dans le psychodrame. On entend son histoire. Des anecdotes. Mais ce qu’elle a apporté n’est pas mis en lumière.


Le buzz du transgénérationnel a été un de raz-de-marée. Anne c’est « Aïe mes aïeux. » Le transgénérationnel a fait son apparition dans un monde extrêmement large. Ça balaie tout le reste. Un des apports de Anne qu’elle a repris de Moreno, c’est de dire il faut former tous les personnels qui travaillent avec des patients. Ou des personnes en souffrance. Il faut utiliser le psychodrame pour former les gens. Quel que soit leur métier.