Promouvoir et diffuser le Psychodrame

Marie-Madeleine Nyssens avec Fabrice Rosina

Photo de Marie-Madeleine Nyssens
Je suis Marie-Madeleine Nyssens. Je travaille comme psychothérapeute à Bruxelles. Je fais partie de l'Association Belge de Psychodrame.

Peux-tu nous dire en quelques mots, qui tu es, et ce que tu fais ?  

Je suis Marie-Madeleine Nyssens. Je travaille comme psychothérapeute à Bruxelles. Je fais partie de l’Association Belge de Psychodrame. Au début de mes études, j’ai obtenu une licence et une agrégation en sciences économiques à l’Université Catholique de Louvain qui me permettaient d’enseigner l’économie à des adolescents qui avaient entre 15 et 18 ans.  Ensuite j’ai fait une longue formation en psychothérapie. Ce fût un long parcours. Quand j’ai commencé à travailler en tant que thérapeute, j’étais conseillère conjugale dans un planning familial. Un planning familial est un centre pluridisciplinaire où se retrouvent des conseillères conjugales, des psychologues, des gynécologues, des juristes et des médiateurs familiaux qui accueillent des personnes, de tout âge. On accueillait monsieur/madame-tout-le-monde. En Belgique, c’est la première marche d’une demande de relation d’aide. Les consultations ne sont pas chères. On utilisait l’outil de la psychothérapie analytique. J’y ai beaucoup travaillé. Mais je sentais que j’avais besoin de plus sentir mon corps, d’être plus présente lors des entretiens. Quelquefois même je m’ennuyais…  J’ai fait alors une formation en psychothérapie corporelle avec un Canadien, André Duchesne, qui m’a appris à écouter mon corps, à le connaître et à travailler avec ce qu’il se passe dans l’ici et maintenant de la relation.  

Ça a profondément modifié ma façon de travailler. Mais ce n’était pas suffisant. J’ai rencontré le psychodrame grâce à l’Association Belge de Psychodrame, où j’ai fait une formation en psychodrame analytique. Mais je n’étais toujours pas satisfaite. Alors j’ai intégré un groupe à Paris avec Anne Ancelin Schützenberger. 

J’ai eu la grande chance de pouvoir travailler à Paris pendant une dizaine d’années avec Anne. Ma relation était très forte avec elle. Je lui faisais pleinement confiance. Je me rappelle qu’un jour, dans sa petite cuisine de la rue Appel, Anne m’a dit : « je vous aime. » Il y a eu un silence, je ne savais pas quoi répondre. J’étais mal à l’aise. Elle a repris : “ Vous me croyez ?”. C’est seulement à ce moment-là que j’ai ressenti quelque chose dans mon corps. Ce moment est inscrit en moi et je peux m’appuyer dessus quand j’en ai besoin. C’est un repère. Il m’est aussi arrivé de dire à une cliente : “je vous aime”. Quand c’est vraiment authentique, c’est bénéfique, dans une relation est saine. 

 J’ai donc été formée par Anne en psychodrame et en psychogénéalogie. J’ai travaillé avec elle dans des groupes, puis comme sa collègue pendant une dizaine d’années. Voilà quelques moments de mon parcours professionnel.  

En quoi consistait ton activité de conseillère 

Une relation d’aide. Une première marche pour des jeunes et des personnes en souffrance avec peu d’argent. C’était financé par la communauté française. Ainsi, ces personnes peuvent être en contact avec quelqu’un qui les écoute. La formation de conseillère conjugale a été dure, très exigeante. Il y avait très peu d’empathie. On nous mettait à l’épreuve pour voir si “on tenait le coup”. Cela me fait penser, aujourd’hui à la pédagogie noire ; “c’est pour ton bien qu’on te malmène ! “ Mais c’était aussi une formation analytique dans laquelle on apprenait les bases théoriques de la relation, de l’écoute non directive.  

Quel est ton parcours? 

Quand j’étais jeune, j’étais donc professeure d’économie dans les écoles secondaires (adolescents de 15 à 18 ans). J’ai arrêté parce que j’ai eu quatre enfants.  Je suis l’épouse d’un médecin de famille généraliste qui n’avait aucun horaire. Il travaillait à 200%. Alors, j’ai arrêté dix ans pour m’occuper de mes enfants. J’étais déjà passionnée par l’enfant même si, évidemment, ce fut une période très fatigante nerveusement et physiquement. J’ai repris une vie professionnelle et des formations vers l’âge de quarante ans. Je suis retournée me former à l’université, lieu que je connaissais et où je me sentais en sécurité. J’ai passé un bac en psychologie conjugale sexuelle et familiale.  Ce fût un temps de ressourcement.  

La formation de conseillère conjugale a duré quatre ans, la psychothérapie corporelle quatre ans également, le psychodrame, au moins quatre ans, puis la psychogénéalogie. Ce fut un long parcours qui a fait qui je suis aujourd’hui.  

Quels souvenirs as-tu de cette formation de conseillère conjugale ?  

C’était une formation difficile, analytique. J’avais l’impression que si je tenais, j’arriverai au bout. Mais il fallait tenir. On était très malmenés. On mettait en évidence nos fragilités, nos faiblesses. On a été quatre ou cinq à aller jusqu’au bout de la formation alors qu’au début, on était vingt-cinq. Dans mon histoire je sais ce que veut dire “tenir le coup”. On recevait des coups. Ce n’était pas du tout dans la bienveillance.  

Je ne pouvais pas me contenter de cette formation. Mais j’ai eu comme une colonne vertébrale théorique en psychothérapie analytique. J’ai beaucoup lu, appris. Ce fut une bonne base.  

As-tu aussi des souvenirs de la formation en psychothérapie corporelle? 

Je me rappelle le formateur qui disait « Qu’est ce qui est présent dans ton corps ? » J’ai toujours gardé cette phrase.  

Une autre phrase qu’il disait quand quelque chose de nouveau, de bon surgissait dans la relation : « goûte ce qui se passe pour le moment ». Cela me fait penser à la phrase d’Anne : “Prenez votre temps”.  André Duchesne travaillait à l’université, c’était quelqu’un d’érudit. Mais il nous disait tout le temps : « on se fout du pourquoi. » Alors que moi, j’avais baigné dans le pourquoi. Donc, j’avais les deux côtés et ça m’allait : le « pourquoi » et le « on se fout du pourquoi. » (Rires) 

Comme les pièces d’un puzzle, ces éléments m’ont toujours accompagnée. Ça m’arrive encore aujourd’hui, quand on parle trop, de dire « on se fout du pourquoi ». Les personnes sont un peu interloquées. 

Tu as fait du psychodrame psychanalytique. Est-ce qu’il y a des souvenirs qui te reviennent aussi ?  

Un jeu où j’étais protagoniste me revient.  La psychodramatiste avait mis en scène la perversité. Le co-animateur psychodramatiste a doublé la perversité qui était juste à côté de moi en criant, en hurlant. J’ai éclaté en sanglots quand, derrière moi, la psychodramatiste est venue me dire d’une façon très détachée, neutre : « vous pleurez ?» J’ai senti mon corps qui s’est mis à trembler. Je me suis sentie seule, je revivais à ce moment-là exactement un moment de mon histoire, des blessures très profondes. Heureusement, j’étais assez forte parce que j’avais appris à recevoir des coups. 

Je ne crois pas qu’en psychodrame, il soit nécessaire de revivre ces moments douloureux mais un morceau de ces moments douloureux et surtout pas seule. Cette expérience m’a beaucoup fait réfléchir à mon travail de psychodramatiste.  

Bien après, je me suis dit : « quand je serai thérapeute, psychodramatiste, j’accompagnerai la personne qui revit un traumatisme, pour qu’elle ne soit pas toute seule. » Cette réflexion m’a portée pendant toute mon activité professionnelle.  

 Les jeux que l’on fait ne nous parlent pas toujours tout de suite.  

Et cette formation avec Anne Ancelin Schützenberger. Quel souvenir en as-tu ?  

C’est l’authenticité d’Anne qui me revient. Cela m’a toujours fait du bien. Même si Anne était un peu entière, son authenticité me sécurisait. Qu’est-ce que j’appelle l’authenticité ? Quand elle était en colère, elle l’était vraiment. Quand elle n’était pas contente, elle n’était pas contente. Quand elle s’endormait, ça voulait peut-être dire qu’elle s’ennuyait. C’est comme ça que je le comprenais. J’étais très sécurisée d’avoir quelqu’un devant moi qui disait ce qu’elle ressentait.  

Ça m’a beaucoup aidée. J’ai gardé des souvenirs de la façon dont elle faisait groupe. Elle prenait le temps. Faire groupe, ça voulait dire “que tout le monde soit là”. Personne n’était en retrait pour regarder. 

 Elle utilisait des comptines, de petites chansons qu’on reprenait en groupe. C’étaient des moments très forts pour faire groupe ensemble. Je le faisais aussi spontanément quand je donnais des formations et que j’animais des groupes.  

Il n’y a pas si longtemps, j’ai terminé mon groupe en demandant qu’on chante ensemble. Fabrice, tu connais la comptine, « les éléphants vont à la foire ? » On a chanté en marchant et en tapant des pieds. Ça donne une énergie dans le groupe qui chaque fois me donne des frissons. Et quand j’ai des frissons, je me dis qu’il se passe quelque chose.  

Tout le monde a chanté 

Tout le monde chante, se regarde et rit. On sent qu’une énergie groupale est là. Alors, on peut jouer de façon authentique.  

Il me vient encore un autre souvenir. J’ai plein de souvenirs. Anne avait toujours un vase avec des roses rouges sur un petit guéridon face à sa fenêtre. Elle les achetait spécialement lorsqu’ elle animait un groupe. C’était au début de mon travail avec elle, je ne la connaissais pas encore très bien. En fin de weekend, elle m’a demandé de prendre une rose rouge dans le vase. Elle me l’a donnée. Elle l’a surement fait avec d’autres personnes aussi.  

Je me revois dans le TGV, avec ma valise et cette petite rose rouge à la main. C’était comme un objet transitionnel. Anne osait faire ça. J’ai pu prendre quelque chose d’elle et retourner chez moi avec une partie d’elle. Ça m’a fortement marquée. Anne était authentique. Des gestes comme ça, elle n’en avait pas tellement. Ils avaient donc beaucoup de valeur à mes yeux. Ça arrivait aussi qu’elle demande à une personne qui pleurait de venir s’asseoir à côté d’elle et elle lui donnait la main tout en continuant à animer le groupe. Elle vouvoyait toujours. Elle oubliait même souvent mon prénom. Elle me disait : « Mais comment vous vous appelez ? » Et moi, je lui répondais en souriant : « Cunégonde, Anne ! » Et on riait ensemble. J’avais confiance en elle.  

Encore un dernier un autre moment fort avec elle :  quand j’ai utilisé la bataka en tapant sur ses fauteuils où il y avait une poussière folle. Je me vois encore taper de toutes mes forces avec cette bataka.  Une bataka c’est un long bâton recouvert d’un tissu pour ne pas se faire mal. Tout le monde dans le groupe éternuait, se mouchait. On pleurait et on riait. Je pleurais mais je riais aussi.  

Qu’est-ce qui t’a attiré dans le psychodrame ?   

Ce qui m’a sauvée quand j’étais petite, c’est d’avoir énormément joué avec mes amies. J’avais beaucoup de copines.  On mettait en scène des histoires, dansait, se déguisait. J’adorais jouer. A un moment donné, j’ai arrêté de jouer parce que j’ai grandi et que je suis devenue une adulte “universitaire, intellectuelle et sage ”. C’était mieux accepté et reconnu dans mon univers. Je suis retournée vers le psychodrame parce que j’aime jouer. J’ai une part d’enfant en moi. J’adore le théâtre, j’y vais énormément. J’aime le jeu, mais le vrai. Quand j’étais petite, je jouais pour de vrai. J’aime aussi la notion du collectif dans le théâtre et encore plus aujourd’hui le collectif engagé.

Je crois qu’un enfant qui joue pour de vrai, malgré les blessures de la vie, reste en bonne santé. Le jeu fait partie de la vie de l’enfant. J’ai retrouvé ça dans le psychodrame. Jouer me met en vie. Chaque fois que je joue, il y a une énergie vitale qui surgit. Chaque fois qu’on “joue pour de vrai” avec les clients on remet de la vie. 

Tu le relies à ton enfance ?  

Je relie psychodrame à ma propre histoire transgénérationnelle, à mon oncle Pierre Fontaine et sa femme Dorothée Nyssens. C’est lui qui a invité Anne Ancelin Schützenberger chez lui et a introduit, grâce à Anne, le psychodrame en Belgique. Pierre Fontaine est décédé en juillet dernier. Il est aussi à l’origine de FEPTO, un organisme que j’aime beaucoup où l’on peut expérimenter différentes sortes de psychodrames. C’est tellement important d’aller voir autre part, d’oser créer avec d’autres sensibilités, d’autres cultures. L’ouverture est fondamentale.  

C’est pour moi le sens même du psychodrame : s’ouvrir à l’Autre différent.  

Tu es psychodramatiste et aussi formatrice ?  

J’ai introduit le psychodrame triadique en Belgique. Avec mon cheminement, j’étais à l’école française de psychodrame et un jour, bousculée et malmenée par le cadre que je trouvais un peu rigide de l’EFP, je me suis dit pourquoi ne pas créer le psychodrame triadique en Belgique. Il fallait juste oser. Aujourd’hui, je suis profondément heureuse parce que je viens de clôre un groupe avec des psychodramatistes triadiques belges. 

J’ai créé un groupe thérapeutique de psychodrame triadique et un autre groupe de réflexion autour du psychodrame triadique.  

Le groupe de réflexion, ce sont tous des thérapeutes qui réfléchissent, se posent des questions ensemble sur le psychodrame triadique. Le but est de se poser des questions, de les formuler mais surtout de ne pas y répondre. 

 Un groupe belge de psychodramatistes triadiques.  

Pour moi, c’est la transmission d’Anne. J’ai travaillé presque dix ans avec elle. D’abord elle m’a formée, puis j’ai été psychodramatiste avec elle, puis j’ai été une amie.  

 Les générations suivantes prennent la relève. Ça a du sens. Aujourd’hui les psychodramatistes belges que j’ai formés sont des ami e s. 

Qu’est-ce qui pourrait caractériser ta manière personnelle de faire du psychodrame ?  

D’abord, le fait d’allier le psychodrame et la psychogénéalogie. Quand je travaille, on a toujours un chevalet avec un tableau devant nous. Une personne travaille sa demande. On ne part pas n’importe comment. J’essaie de bien préciser la demande du protagoniste, d’écrire des phrases sur le tableau qui me paraissent importantes, ou des choses qui sont dites « comme ça » « entre deux.  Par exemple, tout d’un coup, un oiseau chante, ou la personne a une quinte de toux, ou elle dit « oh, moi j’ai terriblement chaud » ou encore tout simplement “je dois aller aux toilettes”. Je leur demande d’écrire ces phrases sur le tableau et aussi ce qu’il vient de se passer. Ces phrases sont des maillons qui vont se suivre les uns après les autres et qui vont permettre d’arriver à un jeu que je vais mettre en scène.  

On part de la clarification de la demande du protagoniste. J’essaie de ne jamais devancer le protagoniste. S’il parle de sa tante, on mettra la tante sur le génosociogramme. Il note les personnes de qui il parle. Je ne pose quasiment aucune question, sauf pour préciser les évènements : c’était où ? C’était quand ? Quel âge avais-tu ? Décris-moi la maison dont tu parles ou quelquefois dessine la maison. J’essaie d’induire le moins possible.  

Il y a beaucoup de silences quand on travaille. Pendant ces silences je prends le temps d’écouter mon corps. Cela permet aussi à la cliente de respirer. 

Je fais tout le temps des va-et-vient entre ce qui se passe dans mon corps et ce que dit ou vit le protagoniste. Et quand j’ai un frisson, je dis : « on va mettre quelque chose en scène de ce que vous dites là maintenant ». Et on part dans le psychodrame, toujours en faisant très attention à ce qui se passe ici et maintenant pour le protagoniste. 

C’est une première caractéristique 

La deuxième caractéristique :  après avoir mis en scène les antagonistes et qu’ils ont été doublés, si c’est nécessaire, je fais trois pas en arrière. C’est-à-dire que je laisse le groupe jouer, je leur fais confiance. 

Lorsqu’on joue, il y a souvent un moment de chaos. Alors, je me dis « Oula là, je ne sais pas du tout où on va, allez, fais confiance” et je reste présente. Je pense à respirer.  

Je crois que ce moment de chaos est nécessaire pour aller chercher l’énergie du protagoniste et du groupe. Ils vont trouver ensemble une nouvelle façon de sortir de la situation. Très souvent, quelque chose se passe et je ne m’y attendais pas. A ce moment-là, au niveau corporel, au niveau énergétique, il y a quelque chose de nouveau qui se joue. Je le sens dans mon corps. Et lorsque le protagoniste dit une phrase qui vient parler de ça, de ce “nouveau” je dis « on arrête là ». On ne doit pas aller jusqu’au bout, ni tout dire. Ce n’est pas nécessaire. C’est moi qui décide d’arrêter. Certains protagonistes disent : « j’ai envie de rajouter… » Je dis : « non, on arrête là. » C’est le psychodramatiste qui mène le jeu.  

Une psychodramatiste m’a dit récemment : je ne demande jamais au protagoniste de remettre en place les objets avec lesquels il a joué. Je le fais après. J’ai répondu : « Ah non, c’est son histoire et pas la tienne. C’est à lui de remettre les coussins, les objets qu’il a utilisés. » Et elle me disait : « mais qu’est-ce que tu fais à ce moment-là ? » J’ai répondu : « je suis là, point. Je ne dis rien, je ne fais rien, je respire. »  

 Anne-Anne Schutzenberger t’a beaucoup inspirée. Peut-être que d’autres aussi 

En psychogénéalogie, une personne qui m’a inspirée aussi c’est Evelyne Bissone Jeufroy. Elle était parisienne. Je suis contente de nommer son nom, parce qu’elle est décédée il y a 2-3 mois. On ne s’y attendait pas. Elle était très proche d’Anne. Donc, c’est un honneur de parler d’elle. Les personnes avec qui j’ai beaucoup travaillé sont aussi : Leandra Perrotta et Manuela Maciel. J’ai suivi une formation internationale donnée par elles deux juste après le décès d’Anne.  Ce sont deux personnes pour lesquelles j’ai beaucoup de respect. Elles ont aussi bien connu Anne.  

Ma formation analytique en Belgique, avec Chantal Neve et Vincent Magos. C’était une formation très dure qui m’a solidifiée aussi.  

C’était très riche d’avoir eu ces deux approches, analytique et triadique. Je me suis sentie outillée. C’est grâce à ça que j’ai osé passer ma certification en Belgique. C’était important pour moi d’être certifiée, reconnue par la grande famille des psychodramatistes.  

Je pense aussi à la richesse de FEPTO. J’y ai fait de magnifiques rencontres avec des gens très ouverts et créatifs. Je retiens leur spontanéité et leur créativité. La spontanéité créatrice dont Moreno parlait. 

André Duchesne, aussi. Il m’a aidé à oser aller vers mon corps. Je n’aurais jamais osé y aller seule. C’était une longue formation pas facile non plus. On pouvait se toucher, ce que je n’avais jamais connu dans ma formation en psychothérapie. Au contraire, en psychothérapie analytique il était défendu de se toucher même en psychodrame. On devait “faire semblant” de se toucher en mettant sa main tout près du corps. Pour moi, donc, le toucher était quelque chose de difficile et d’interdit. 

Alors la découverte de cette énergie corporelle dans un cadre de sécurité a été une nouvelle naissance. Elle m’a aidée à découvrir l’altérité. Il y a mon corps et puis il y a le corps de l’autre qui vit autre chose que moi. Lorsque j’étais uniquement dans les idées et la réflexion, c’était plus difficile pour moi de sentir l’altérité. Ma tête allait trop vite.

Je remercie André Duchesne, d’avoir su m’apprivoiser parce que je suis quelqu’un d’un peu sauvage. Il l’a fait avec beaucoup respect. Sans ça, je serais partie tout de suite. Je me rappelle qu’il nous apprenait à mettre des cordes autour de nous, pour avoir notre espace intime, énergétique avant de toucher ou de donner la main. C’est vraiment une expérience incroyable, mettre une corde autour de soi et le faire de façon consciente. Pouvoir dire et surtout ressentir que j’ai un espace de sécurité autour de moi.  

Il y a encore peut-être encore quelqu’un d’important. Si tu laisses venir les pensées, les associations.  

Quelqu’un qui faisait partie du premier groupe avec Anne c’est Florence Debord. C’est quelqu’un d’important pour vous dans votre école française de psychodrame. Florence faisait aussi partie du groupe thérapeutique avec Anne et Colette. Je me rappelle que notre formation était la moitié du temps avec Colette, rue de Poitiers et puis la deuxième partie de la journée on courait chez Anne, en métro, pour rejoindre son appartement, rue Appel au 7ème étage. Je montais à pied les 7 étages, le parquet craquait. J’avais le cœur serré ; la peur et l’excitation m’envahissaient. Florence faisait aussi partie de cette aventure. J’ai une affection particulière pour Florence. C’était un moment qui a été très fort.  

Tu as récemment décidé de prendre ta retraite professionnelle. Je ne sais pas si tu veux en parler.  

Je peux en parler, bien sûr. Elle est prise en conscience. C’était important pour moi de prendre le temps de transmettre, d’une façon claire. J’ai pu le faire ces dernières années. J’ai formé des personnes qui vont reprendre des groupes en Belgique. C’est vivant. C’était important pour moi de dire : « je vous laisse la place, je vous fais confiance. Cette confiance est très importante. Je fais le lien avec la confiance qu’on donne aux protagonistes et aux groupes dans les jeux.  

Un deuxième point, c’est la chance d’être en pleine forme, d’avoir encore beaucoup d’énergie. Je sens que j’ai envie d’aller découvrir de nouveaux horizons. Par exemple, je me suis inscrite dans un parti politique en Belgique. Aller découvrir d’autres mondes, avec ma capacité d’écoute, de jeu, tout ce que j’ai appris et que je garde comme un trésor.  

Je crois aussi que c’est la première fois que je vois que je vais mourir. J’ai presque 70 ans, et la vie va s’arrêter à un moment donné. J’ai envie de découvrir d’autres énergies, un autre monde aussi. Je ne suis pas éternelle. J’ai pu mettre un terme, un point final à ma vie professionnelle. Je n’aime pas le mot final parce qu’il y a encore quelques personnes qui viennent en supervision.   

Arrêter, fermer une porte, ça m’aide à avancer dans la vie et quelque part à gagner une certaine sérénité personnelle.  

J’ai aussi bientôt dix petits-enfants, J’aime bien avoir une relation particulière avec chacun. J’aime jouer avec eux. J’adore jouer. Tous les mercredis, je joue avec eux. Donc, je jouerai encore beaucoup.  Je n’ai plus autant de force qu’avant. Je dois être réaliste aussi. 

Les gens qui sont en train de se former au psychodrame, en Belgique, en France, ou ailleurs, qu’est-ce que tu as envie de leur dire à ces personnes qui décident de devenir psychodramatistes ?  

Ce qui me vient : « soyez le plus possible authentiques. » La deuxième chose « prenez votre temps. » Le temps d’écouter et de vous écouter aussi lorsque vous êtes en relation. 

Ne passez pas votre temps à questionner ou à réfléchir à ce que vous allez faire ou dire. Je sais que c’est difficile mais vivez le moment présent avec l’autre. C’est la meilleure façon de faire confiance à l’autre. Plus vous faites confiance à l’autre et plus quelque chose va surgir et ce sera votre moteur. « Prenez soin de vous quand vous animez. Prenez soin de votre corps aussi. Ne soyez pas complètement tendu vers l’autre. Prenez l’espace qu’il vous faut. En prenant cet espace, vous en donnez à l’autre.  N’oubliez pas de respirer ! » 

L’authenticité, ça nous ramène à Anne Ancelin.  

Tout à fait, en disant ça, je vois son visage, c’est amusant. Je la vois dans son fauteuil de sa petite cuisine qui crie “”hou,hou…” quand je franchissais la porte de son appartement. 

Qu’est-ce que tu as envie de rajouter à notre échange ?  

J’ai envie Fabrice de te remercier, pour ta chaleur, pour ta bienveillance. J’ai eu la chance de te voir régulièrement chez moi, tu es venu loger. Et quand j’ouvrais la porte, c’était toujours un plaisir de te voir arriver. Je trouve que dans la famille des psychodramatistes, c’est fondamental. Fondamental, qu’entre psychodramatistes, il y ait quelque chose qui passe, qui se passe et qu’on se fasse confiance. Et ce n’est pas facile. Mais voilà, j’ai toujours un énorme plaisir de te recevoir et d’être en lien avec toi.  

Ma porte restera toujours ouverte si tu désires loger chez moi à Bruxelles. 

C’est réciproque.  

Je te souhaite plein de bon aussi. Et merci du fond du cœur.  

Merci à toi d’avoir répondu. On va un peu mieux te connaitre.