Promouvoir et diffuser le Psychodrame

Chantal Nève-Hanquet avec Fabrice Rosina

Photo de Chantal-T.Gregoire
Je suis à Bruxelles, à mon travail. Un magnifique bouquet de fleurs près de moi. Je viens de travailler avec une famille : cinq frères et sœurs adultes, sur leur rapport au vieillissement de leur maman.

Peux-tu te présenter et nous dire ce que tu fais ?

Je suis à Bruxelles, à mon travail. Un magnifique bouquet de fleurs près de moi. Je viens de travailler avec une famille : cinq frères et sœurs adultes, sur leur rapport au vieillissement de leur maman. Deux étaient bloqués sur l’autoroute dans les embouteillages, trois dans la salle avec nous. On a fait l’entretien avec WhatsApp. Le psychodrame, c’est peut-être ça, savoir trouver dans la spontanéité des réponses à l’inattendu.

Aujourd’hui, j’anime le groupe de formation au psychodrame. J’accompagne des équipes professionnelles et suis coordinatrice scientifique d’une formation en thérapie familiale. Je reçois des personnes des individuels, couples et familles. J’aime la variété de mon travail et l’expérience de formation vient questionner l’expérience thérapeutique. L’un complète l’autre.

Plus officiellement : psychologue. J’ai obtenu mon diplôme à 37 ans. Je suis formatrice en psychodrame, en thérapie familiale, et psychanalyste jungienne.

Comment es-tu arrivée au psychodrame ? Comment s’est faite la rencontre ?

Je travaillais dans une institution pour enfants manifestant des difficultés scolaires et de développement. Une collègue institutrice me parle d’un week-end de sensibilisation au psychodrame qu’elle vient de faire avec Pierre Fontaine et Jean-Claude Quintard. Elle dit combien elle a été intéressée et même bouleversée. Le week-end suivant, je participe à cette expérience de groupe. Pierre Fontaine anime à son domicile. l’expérience est très concluante.

En 67/68, dans des institutions d’hébergement, de nombreux praticiens s’ouvrent au travail thérapeutique en groupe et en individuel. Anne Ancelin Schutzenberger vient en Belgique pour animer un groupe de psychodrame de longue durée. J’entre dans ce cycle. Je passe quatre ans avec elle pour devenir psychodramatiste. Et je participe à d’autres weekends avec d’autres praticiens : Simone Blajan-Marcus, Gennie et Paul Lemoine, Greta Leutz, et Jacques Dropsy qui propose un travail corporel en groupe. A cette période, s’organisent en Belgique de nombreuses sessions de psychodrame tant psychanalytique que triadique.

Ensuite, je fais un stage en psychiatrie comme psychodramatiste. Puis j’entre au CFIP pour faire du psychodrame avec un collègue, Jacques Tamigneau, qui malheureusement tombe malade et décède deux ans après le début du groupe d’évolution personnelle que nous avions initié. Je rédige un travail sur ma pratique de psychodramatiste, et j’obtiens la certification au CFIP.

Tu avais un rôle de psychologue dans l’institution ?

J’avais un rôle de rééducatrice dans l’institution d’enfants car j’ai un diplôme de professeur de sciences et géographie. La formation de psychologue commencera plus tard.

J’animais des groupes de psychodrame sans être psychologue.

Peux-tu préciser ce que tu fais à ce moment-là ?

Dans ma fonction de rééducatrice en lecture, calcul et écriture, je constate que les difficultés d’apprentissage des enfants concernent davantage des blocages affectifs que des troubles d’apprentissage. Je m’intéresse aux travaux de Dolto, Mannoni, Bettelheim… En ce sens, je commence à m’orienter vers un travail de thérapie par le jeu. Les groupes de psychodrame avec les enfants prennent place dans ce contexte. Tout en nous formant, nous expérimentions déjà la pratique du psychodrame. Nous avons créé un groupe d’intervision de psychodramatistes d’enfants.

Sept ans plus tard, j’accepte le poste de directrice de l’institution pour une durée de 5 ans.

J’arrête le psychodrame pendant quelques années, en ne participant qu’aux rencontres occasionnelles.

Je crois que tu as rencontré Moreno ?

En 1971, Moreno participe au congrès de psychodrame d’Amsterdam. Je le vois travailler sur scène et de manière plus sociodramatique avec un groupe de participants quelque peu contestataires.

C’est comment dans ton souvenir ?

J’ai oublié ce qu’il a mis en scène. Il y avait des « mouvements de contestation » par rapport à la dynamique de groupe de la rencontre. Il y avait plus de 500 personnes et nous étions juste après 1968.

J’ai participé au groupe des contestataires, avec deux psychodramatistes belges et un psychodramatiste argentin, de gauche qui faisait sa formation en Belgique. Moreno est venu nous rencontrer et a créé un espace de négociation. Je me rappelle ce temps de négociation entre Moreno et des représentants du groupe. La négociation a pris son temps. Moreno est venu pour comprendre et créer du lien entre « les opposants » et l’organisation du congrès.

C’est la seule fois que je l’ai vu.

Dans ta pratique du psychodrame, quelle est ta façon de faire ? Ton style ?

J’ai toujours coanimé les groupes thérapeutiques avec une ou un cothéthérapeute. En psychiatrie, j’ai travaillé avec une collègue et au CFIP, nous étions un couple mixte. Le style est coloré par les références thérapeutiques et psychodramatiques de deux membres de l’équipe.

J’ai beaucoup travaillé avec Bernard Robinson, une orientation analytique freudo-lacanienne. Moi, une orientation junguienne, avec moins de références freudiennes. Mes références étaient plus larges, le développement de l’homme comme un être en devenir. J’ai animé plus de dix ans le groupe thérapeutique. Puis avec Luc Godard, psychodramatiste. Travaillant en psychiatrie ensuite avec Frans Denayer, psychiatre. Je caractériserais mon style par de courts jeux psychodramatiques centrés sur l’histoire de la personne, représentés dans un cadre de sécurité.

Mon style se voit aussi dans les groupes centrés sur les transmissions transgénérationnelles par le génogramme paysager. Jacques Pluymaeckers et moi-même avons créé à l’intention des étudiants en thérapie familiale un travail sur soi et leur famille d’origine. Il s’agit de représenter ce qu’ils souhaitent dire d’eux et de leur histoire familiale aujourd’hui de manière créative. Ce travail a un double objectif :

  • Permettre aux étudiants de se situer par rapport aux compétences et freins dont ils sont porteurs en lien avec leur histoire familiale

  • Expérimenter pour eux-mêmes ce qu’ils seront amenés à faire vivre aux familles accompagnées.

Peux-tu décrire le génogramme paysager ?

Les personnes reçoivent une grande feuille de papier et des couleurs.

La question : « que voulez-vous dire aujourd’hui de vous et de votre histoire familiale de manière créative ? » Un temps de 20 minutes est accordé pour réaliser cette création unique et singulière.

Les membres du groupe déposent au sol tous les génogrammes pour créer un tapis. Ils sont consultés en silence afin d’apercevoir des liens possibles entre les créations.

S’ensuit une présentation individuelle qui reçoit les échos et les associations des membres du groupe, puis un jeu psychodramatique est mis en scène. Le génogramme paysager a été créé au moment où Anne développait tout son travail de psychogénéalogie. Ce travail est possible en individuel, en couple et avec des familles.

Mon style, c’est du psychodrame individuel en groupe. Le psychodramatiste demande si quelqu’un veut travailler quelque chose ou il propose de mettre au travail quelque chose qui est dit par quelqu’un. J’ai aussi travaillé avec Ophélia Avron, qui est venue en Belgique à plusieurs reprises. Je pratique volontiers le changement de rôle et j’utilise le doublage. C’est un psychodrame classique, sans warming up.

Utilises-tu le psychodrame avec d’autres objectifs que thérapeutiques ou formatifs ? Je dirais d’autres buts que des buts thérapeutiques. Dans une institution, une organisation ?

Avec Agathe Crespel, nous avons développé le modèle ARC (Action, Représentation, Changement.) On utilise des outils du psychodrame qu’on a modélisés à des fins non thérapeutiques. Certains sont issus des formations que je donnais aux éducateurs. J’ai souhaité leur donner la possibilité de se questionner sur ce qui se passe dans la relation avec les personnes avec lesquelles ils travaillent. Ainsi j’ai créé le cercle d’empathie qui propose aux éducateurs de prendre le rôle des bénéficiaires d’où l’intérêt du changement de rôle. En prenant le rôle d’un tiers, toute personne peut se donner des réponses aux difficultés relationnelles qu’elle vit dans l’accompagnement relationnel.

Tout ce travail a été coécrit dans un ouvrage paru aux Editions Eyrolles « Faciliter l’Intelligence collective. 35 fiches pour innover, coconstruire, mettre en action et accompagner le changement. »

Quelles sont les personnes qui ont influencé ta pratique du psychodrame ?

J’ai été influencée par Anne Ancelin et sa pratique. J’estime que la coanimation donne l’occasion d’apprendre mutuellement une manière d’être psychodramatiste. Pendant les deux premières années de pratique de psychodrame avec Anne, elle animait toutes les séances de psychodrame puis nous les avons animées, suivies d’un temps de parole questionnant l’animation de la séance.

J’ai eu l’occasion de vivre une boutique magique avec elle.

Elle nous a fait découvrir d’autres styles en proposant à d’autres collaborateurs dont Pierre Weiss de l’accompagner.

Qui participait au groupe d’Anne ?

Des médecins, des psychologues, une architecte, des praticiens en animation de groupe., des acteurs et metteur en scène. Nous sommes deux à avoir participé à l’ensemble des quatre ans. Certains arrêtaient après deux ans, ne souhaitant pas accomplir un cursus complet de psychodrame. Ils étaient venus pour expérimenter le psychodrame avec Anne. A l’époque, de nombreux cliniciens étaient en psychanalyse et participaient à des expériences de groupe. C’était un complément à un cursus de psychothérapeute ou de psychanalyste.

Tu animes un groupe didactique aujourd’hui ?

Oui, depuis plusieurs années. Le groupe de formation au psychodrame ou groupe didactique est réservé aux psychologues, psychiatres, éducateurs, conseillers conjugaux qui souhaitent utiliser le psychodrame dans leur pratique professionnelle. Chaque année de formation est constituée d’un dimanche par mois, durant neuf mois. Ce groupe mélange les personnes qui sont en première, seconde, troisième ou quatrième année de formation. Chaque journée de formation comporte trois séances de travail personnel et trois temps de travail didactique.

Dans les jeux, quelqu’un anime et un autre observe. Toujours à deux, le couple animateur, psychodramatiste et observateur. A la fin de la séance de travail groupal, l’observateur restitue son observation, fil rouge de la séance. Et puis, le temps didactique, questionne la spécificité de l’animation avec toutes les questions que ça peut poser. Quelqu’un assure la mémoire de ce temps didactique. Sur les trois séances de travail personnel, deux sont animées par des membres du groupe et une est animée par un membre de l’équipe des psychodramatistes/formateurs

L’observateur rend compte, comme je l’ai dit plus haut, du fil rouge, ce qui circule dans le groupe. L’observation peut commencer par : «il a été question de… » et on reprend les mots importants, on les relie, les articule et parfois on termine par une question. Ça ponctue la séance. C’est une manière de relancer la séance suivante.

L’observation se réalise aussi dans le groupe thérapeutique. Je ne connais pas l’origine de cette spécificité ni le courant auquel elle appartient. Jean-Claude Quintard, psychodramatiste/ psychanalyste collaborateur de Pierre Fontaine a écrit un article sur l’observation. Les Lemoine, psychodrame psychanalytique pratiquaient également l’observation. Sur le site www.psychodrame.be, se trouve l’ article de Jean-Claude Quintard.

Dans ta grande expérience, as-tu un souvenir majeur, que tu as gardé en mémoire ?

A titre personnel, j’ai évoqué la boutique magique. J’ai animé tellement de jeux. Une fois, dans un groupe d’évolution personnelle, il y avait une personne très fragile, qui questionnait le groupe par son besoin de se sentir exister pour elle-même et par les autres. Elle questionnait les membres du groupe sur leur niveau de tolérance à son besoin d’attention et d’affection. Elle se rappelait qu’enfant, elle se sentait rejetée par sa mère qui aurait eu envie de l’étouffer, lorsqu’elle était bébé. Tout le travail psychodramatique a consisté en des jeux touchant son droit à vivre, des jeux simples et courts. Notre style, des jeux très courts par rapport à d’autres psychodramatistes. Sur une séance d’une heure et demie, on peut faire trois jeux différents avec trois protagonistes. J’évoque ce point parce que les psychodramatistes moréniens font plusieurs jeux, d’un passé récent au passé lointain en terminant par un jeu centré sur le « surplus de réalité. »

La fin de jeu peut ponctuer un questionnement.

Il nous arrive de demander « comment voulez-vous terminer ? » ou finir sur une phrase que la personne a dite et qui fait sens : « on en reste là. »

Le groupe est un élément important des psychodrames que tu animes ?

Le groupe soutient. Le jeu s’origine dans la dynamique de groupe. Ce sont des jeux individuels qui ont des échos chez les membres du groupe. On va entendre les formes d’échos des uns et des autres. On ne fait pas de warming up. Cependant, il est nécessaire qu’il y ait une forme d’échange entre les personnes avant qu’un jeu soit proposé. Lors de la première séance, dans un espace de parole ouvert, un temps est donné pour évoquer, associer, donner des échos. Il n’est pas rare que des émotions s’expriment. Le psychodramatiste peut dire : « dans ce que vous dites là, est-ce que ça vous rappelle des souvenirs ? » Un jeu peut être proposé à partir d’un des souvenirs,

Comment utilises-tu le psychodrame ?

J’anime chaque année une journée de formation sur l’utilisation du psychodrame en thérapie. Je présente le doublage. J’en ai trois formes : doublage in, doublage out et doublage par ambivalence. Tu l’as connu puisque j’ai donné une formation à l’Ecole française à Paris. Dans les thérapies de couples : il y a le doublage où c’est le thérapeute psychodramatiste qui double tant monsieur que madame. Le doublage où madame double monsieur et monsieur double madame à la suite des questions du thérapeute. Et enfin, le double changement de rôle psychodramatiste. Moreno pratiquait comme ça : monsieur prend le rôle de madame et madame prend le rôle de monsieur.

On peut mener un jeu psychodramatique avec le couple, en utilisant des chaises vides, je peux aussi prendre un rôle à un moment, dans la courte interaction pendant la séance.

Tu peux jouer une émotion évoquée ?

Oui, et même représenter un père, une mère, un grand-père, une grand-mère. Une courte interaction qui se passera avec un changement de rôle.

En thérapie familiale, les enfants sont aussi présents ?

C’est un peu nouveau. Avant, je ne travaillais pas avec des enfants, et maintenant, j’ai deux familles avec des enfants. J’ai seulement fait des doublages, je n’ai pas fait encore de jeux psychodramatiques. Je peux mettre une chaise vide pour représenter un membre de la famille. Chacune des personnes vient doubler ce membre de la famille. Ils disent : « je ferais plutôt comme ça. » Moi, je dis volontiers, « viens la rendre vivante cette grand-mère en venant derrière la chaise et en parlant à la place de la grand-mère, en répondant à des questions que je pose. » Les autres peuvent dire ce qu’ils ont ressenti quand untel disait telle chose ou telle autre.

Comment tu vois l’évolution du psychodrame par exemple ? As-tu l’impression que le psychodrame intègre de nouvelles choses ou qu’il est toujours pareil ?

Notre style est assez permanent. L’évolution que je me reconnais concerne les doublages où je reprends différents éléments qui ont été évoqués et dits dans un autre ordre. Cela peut provoquer un effet de surprise. Dans le groupe de formation par exemple quand il y a une forte émotion. J’utilise aussi le doublage par ambivalence. Je le fais en passant d’une épaule à l’autre pour laisser sentir des pôles opposés du vécu. Je vérifie toujours par : « Est ce que je peux dire cela ? »

Qu’aurais-tu envie de dire à des gens qui se forment à devenir psychodramatistes ?

Le psychodrame est une démarche puissante, qui révèle des souvenirs, des expériences de l’enfance parfois traumatiques à mettre en scène. Le psychodrame génère des surprises qui ont des effets thérapeutiques. Il vaut mieux vivre une expérience de psychodrame que d’en parler J’invite les jeunes psychodramatistes à le découvrir comme moi je l’ai découvert, il y a près de 60 ans.

Tu as évoqué ton premier weekend de découverte. Est-ce que des choses te reviennent encore ?

J’aimerais ajouter un point important. J’ai fait des liens entre mon intérêt pour le psychodrame et mon histoire personnelle. J’ai une grand-mère paternelle qui, à l’époque de ma naissance, ne marche plus, elle est en fauteuil roulant. Une grand-mère qui a écrit des livres d’éducation et des contes. Elle aime raconter des histoires. Je suis souvent sur ses genoux à écouter ses histoires. On m’a raconté un autre souvenir que je trouve aussi très intéressant. Quand je joue près d’elle comme tout petit enfant, je jette mes jouets, un peu partout, et ma grand-mère me dit « Chantal, tu ne peux pas jeter tes jouets si loin, je ne pourrai pas aller les chercher. » Et quand j’ai appris ça, je me suis dit : « j’ai eu un champ de jeu réduit quand j’étais près d’elle, du fait des circonstances. Elle ne pouvait pas bouger ou très peu. Le psychodrame m’a donné un champ de jeu beaucoup plus large. En faisant du psychodrame, je donne la possibilité de découvrir un champ de jeu, même s’il est intérieur, qui développe une identité plus large.

C’est vraiment important d’avoir pu faire ce lien entre une expérience enfantine et une expérience d’adulte. Je me suis donnée à vivre des jeux psychodramatiques centrés sur mon histoire personnelle et des souvenirs traumatiques de l’enfance. Pour moi, c’est très important. Ma fonction de psychanalyste également. J’écoute les histoires comme ma grand-mère écoutait les miennes. Deux liens importants que j’ai faits entre ma pratique thérapeutique et mon expérience enfantine. Je dirais plutôt des liens que des prises de conscience.

Est-ce que tu veux ajouter quelque chose Chantal ?

Je souhaite que les personnes puissent se donner à vivre des expériences de psychodrame et ainsi elles trouveront leurs propres réponses à leurs questions.